Synthèse des débats à l'Assemblée Nationale SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AU DROIT D ’AUTEUR ET AUX DROITS VOISINS DANS LA SOCIETE DE L’INFORMATION

Publié le par LOUSSOUARN

Historiquement, les débats sur le droit d’auteur et la propriété intellectuelle se sont déroulés dans des climats toujours passionnés et quelquefois chaotiques. Ce projet de loi ne fait pas exception à la règle.

 

Après une pause d’un peu plus de deux mois et le vote surprise d’un amendement tendant à légaliser les téléchargement quelque soit le type de fichier échangé, l’Assemblée nationale a repris ses travaux sur le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) le 7 mars.

 

Souhaitant entamer l’examen du projet par le rejet de la licence globale et de la légalisation des téléchargements qui remettaient en cause l’équilibre et la philosophie du texte de loi, le Gouvernement  a fait le choix de retirer l’article 1 avant de le réintégrer, craignant que ce retrait ne fasse l’objet d’une censure par le Conseil Constitutionnel.

 

Après une longue bataille de procédure sur les conditions de travail du Parlement,  l’examen du texte a permis d’apporter un certain nombre de clarifications au texte proposé par le Gouvernement tout en confirmant les orientations générales du projet.

 

- Rejet de la licence globale

 

Soutenue par les députés de l’opposition et par quelques parlementaires de l’UMP, la licence globale qui prévoyait la possibilité de télécharger des œuvres de manière illimitée en échange d’une contribution forfaitaire mensuelle, dont le principe avait été partiellement accepté en décembre, a été définitivement rejetée.

 

Une large mobilisation des professionnels de la culture, et notamment du cinéma, avait précédé la reprise des débats afin d’insister sur les risques que la licence globale faisait peser sur le financement de la création cinématographique et audiovisuelle et sur la chronologie des médias.

 

- Exceptions au droit d’auteur

 

La substitution de l’amendement 272 à l’article 1 du projet a élargi les possibilités de déroger au droit d’auteur. Alors que dans la version du texte présenté au mois de décembre, seules deux exceptions aux droits de reproduction et d’autorisation étaient autorisées :

 

- En faveur de certains actes techniques de reproduction provisoire, qui ne sont donc pas soumis à autorisation des titulaires de droits

 

- en faveur des personnes affectées d'un handicap consistant en une déficience importante psychique, auditive, visuelle ou motrice

 

Le gouvernement a accepté deux nouvelles exceptions :

 

- en faveur des bibliothèques et services d'archives accessibles au public, pour leur permettre de conserver des documents qui ne sont plus disponibles à la vente ou dans un format technique obsolète

 

- en faveur de la presse, pour lui permettre de diffuser des oeuvres ou des extraits  dans un but d’information, malgré les vives et justes protestations des photographes qui voient là un risque important de remise en cause de leur rémunération

 

L’Assemblée nationale a adopté l’ensemble de ces exceptions, non sans avoir élargi le champ d’application de celle qui était ouverte aux bibliothèques. Ainsi, un sous-amendement de M. Christian Paul (PS), qui a également été adopté, autorise les bibliothèques accessibles au public, les musées et les services d'archives à effectuer les reproductions de toutes les œuvres qui leur sont nécessaires pour assurer leur mission.

 

En revanche, les amendements qui visaient à mettre en place une exception au droit d’auteur en faveur de l’éducation nationale et de la recherche ont tous été rejetés. La majorité de l’Assemblée a préféré s’en remettre aux accords sectoriels qui avaient été signés ces derniers jours entre les ayants droit (dont la SACD) et le Ministère de l’Education nationale prévoyant les conditions d’utilisation des œuvres dans le cadre des établissements scolaires et universitaires et la rémunération forfaitaire qui serait versée aux ayants droit.

 

- Le test en trois étapes

 

L’Assemblée nationale a inscrit dans notre droit la nécessité de respecter le test en trois étapes pour déterminer le champ d’application des exceptions au droit d’auteur.

 

Ce test implique que les exceptions et limitations au droit d’auteur ne sont applicables que dans certains cas spéciaux, qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droit.

 

- La création d ’une plate-forme publique de téléchargement

 

A l’unanimité, les députés se sont prononcés en faveur de la création d’une plate-forme publique de téléchargement de musique. Reste désormais au Gouvernement à définir dans un délai de 6 mois les modalités de la mise en œuvre de cette plate-forme et également de déterminer les ressources financières nécessaires.

 

- L’instauration d’un collège des médiateurs

 

Vilipendé par la gauche et une partie de l’UDF qui voient dans l’instauration d’un collège de médiateurs chargés de définir les modalités d’exercice et le périmètre de la copie privée, un dessaisissement du Parlement, l’article du projet de loi créant cette nouvelle autorité a pourtant bien été voté.

 

Aussi, sur le modèle du Médiateur du cinéma qui a témoigné de son efficacité, ce collège formée de 3 médiateurs, personnalités qualifiées nommées pour 6 ans, aura pour mission de garantir le bénéfice de l’exception pour copie privée, en émettant le cas échéant des injonctions prescrivant les mesures propres à assurer l’effectivité du droit à copie privée, et de définir le périmètre de la copie privée de manière à tenir compte des évolutions technologiques.

 

En revanche, il n’aura pas compétence pour évaluer la rémunération pour copie privée qui relève exclusivement de la Commission pour copie privée composée des ayants droit, des industriels et des consommateurs.

 

- La reconnaissance d ’un droit au bénéfice de l’exception pour copie privée

 

Alors que certains souhaitaient que soit défendue l’idée d’un droit à la copie privée et que d’autres militaient en faveur d’un droit à l’exception pour copie privée, les députés ont préféré reconnaître un droit au bénéfice de l’exception pour copie privée. Sans promulguer un véritable droit, force est de constater que cette rédaction assure à la copie privée un statut particulier et protecteur.

 

- Rejet de la copie privée des DVD

 

Alors que quelques députés, notamment du PS et du PC, réclamaient la reconnaissance d’un droit à copie privée sur l’ensemble des supports, l’Assemblée nationale a renvoyé au Collège des médiateurs le soin de fixer les modalités de la copie privée selon les supports et leur spécificité.

 

La majorité a en effet suivi le rapporteur et également, Pierre-Christophe Baguet (UDF) dans la démonstration qu’ils ont faite de la spécificité des DVD. Non seulement, à la différence des CD, il n’a jamais été permis de réaliser une copie d’une cassette VHS ou d’un DVD. La Cour de Cassation, dans une décision de février 2002, a d’ailleurs rappelé la pertinence de cette règle.

 

D’un point de vue pratique, la non-reconnaissance d’un droit à copie privée pour les DVD se justifie par l’impossibilité technique de pouvoir limiter le nombre de copies qui pourraient être faites dans un cercle familial. Toutefois, la nouvelle génération de DVD qui arrive pourra être dotée de mesures techniques plus précises et efficaces. Le collège des médiateurs pourra alors, en fonction de l’évolution de la technologie, soit décider du maintien du statuquo soit créer les conditions d’une copie privée licite des DVD.

 

- La permanence de la copie privée depuis la source télévisuelle

 

L’Assemblée nationale, de manière relativement consensuelle, a adopté un amendement de Dominique Richard (UMP), que la SACD avait contribué à initier, et qui donne compétence au CSA pour veiller à ce que la copie privée des programmes diffusés à la télévision ne puisse pas être remise en cause.

 

De cette manière, les téléspectateurs voient là une garantie permanente de pouvoir enregistrer les programmes diffusés par les chaînes de télévision.

 

- Des sanctions pénales graduées

 

L’ensemble du régime de sanctions réprimant le téléchargement illicite sur Internet a été adopté avec les voix de l’UMP et de l’UDF. Il a revu à la baisse une échelle des peines qui faisait courir le risque, aux internautes téléchargeants, d'une amende de 300.000 € et d'une peine de 3 ans d’emprisonnement.

 

Désormais, l’internaute qui télécharge de manière illicite un film ou une musique pour son usage personnel sera passible d’une amende de 38 €. Si, dans le même temps, le téléchargement s’accompagne d’une mise à disposition, alors, l’amende encourue pourra être de 150 €.

 

En outre, le contournement des mesures techniques de protection fait l’objet d’un traitement différencié :

 

1.        Le pourvoyeur de moyens de contournement s’expose à 6 mois d’emprisonnement  et 30.000 € d’amende

 

2.        Le hacker (pirate) qui décrypte individuellement la mesure technique de protection de l’œuvre est passible d’une amende de 3750 €

 

3.        Le détenteur ou l’utilisateur de logiciel mis au point pour contourner la mesure technique encourt une contravention de 750 €.

 

- La responsabilité des éditeurs de logiciels de téléchargement illicite

 

Alors que les sanctions à l’encontre des internautes ont été revues à la baisse, les députés de la majorité ont souhaité prévoir des dispositions particulières, au pénal comme au civil, contre les éditeurs de logiciels de téléchargement illicite.

 

A cet effet, ils ont introduit un amendement qui punit de 3 ans d’emprisonnement et 300.000 € d’amende les éditeurs qui mettraient à la disposition du public ou qui communiqueraient au public, « sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés ».

 

Afin de protéger le logiciel libre, les députés Bernard Carayon et Richard Cazenave ont défendu un amendement, adopté par l’Assemblée, indiquant que ces dispositions « ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur ».

 

En outre, une disposition permettant une action au civil contre ces éditeurs de logiciel a été ajoutée. Elle donne la possibilité au juge d'enjoindre à un éditeur de logiciels de prendre toutes mesures pour en empêcher ou limiter l'usage illicite. Toutefois, la loi n’ouvre cette faculté aux juges que dans des conditions strictes : elle ne doit en effet viser que ceux qui font un usage commercial abusif des logiciels dont les fonctionnalités permettent aussi le partage illicite d'œuvres ou d'objets protégés par les droits d'auteur ou les droits voisins.

 

- La garantie de l ’interopérabilité

 

De longs débats ont agité l’Assemblée nationale pour déterminer comment l’interopérabilité, c'est-à-dire la possibilité de lire une œuvre sur quelque support que ce soit, devait être garantie. Une seconde délibération vendredi à 3h du matin a même eu lieu.

 

Il est donc acquis au terme de l’examen du projet de loi que les mesures techniques de protection ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité dans le respect du droit d’auteur. Les fournisseurs de ces mesures sont d’ailleurs tenus de donner toutes les informations essentielles à l’interopérabilité. Si tel n’était pas le cas, un amendement déposé par le groupe socialiste et adopté par l’Assemblée nationale prévoit que le Président du tribunal de grande instance pourrait les y obliger.

 

Enfin, la publication du code-source d’un logiciel inter-opérant avec une mesure technique de protection ne saurait être interdite.

 

- L’exonération des cabinets d’imagerie médicale du paiement de la rémunération pour copie privée

 

Alors que la rémunération pour copie privée est versée à l’occasion de l’achat d’un support vierge, les députés ont introduit une exception dans ce principe général. En effet, ils ont accordé aux cabinets d’imagerie médicale la possibilité d’être exonérés du paiement de la rémunération pour copie privée au motif que leur utilisation des supports vierges ne sert qu’à enregistrer des données numériques professionnelles et non des œuvres.

 

En introduisant cette exonération, la représentation nationale crée un précédent qui pourrait inciter de nombreuses professions à réclamer à leur tour une exonération du paiement de la rémunération pour copie privée. D’ores et déjà, les députés de l’opposition ont proposé d’étendre cette exemption aux hôpitaux et aux écoles…

 

Elle fait aussi du lien entre l’acquisition d’un support et son utilisation le fondement principal de l’application de la rémunération pour copie privée, en négligeant de rappeler qu’il s’agit aussi d’une redevance que chacun doit payer, quelque soit l’utilisation faite du support acheté.

 

- Le rejet d’une taxation supplémentaire pour les Fournisseurs d’accès à Internet

 

A l’occasion de ces débats, les députés de l’opposition ont proposé à l’Assemblée nationale d’adopter une taxation complémentaire des fournisseurs d’accès à Internet afin qu’ils apportent leur contribution au financement de la culture.

 

Inscrite dans le cadre du chapitre du code de la propriété intellectuelle consacrée à la copie privée, cette mesure a été rejetée par la majorité qui la considérait soit comme une idée inadéquate soit comme une nouvelle version de la licence globale.

 

Il n’en reste pas moins que la question de la contribution des fournisseurs d’accès au financement de la production et de la création devra être à nouveau abordée si l’on souhaite dégager de nouvelles ressources correspondant à l’évolution des technologies et de la « consommation » des œuvres culturelles.

Publié dans Droits d'Auteurs

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